jeudi 28 avril 2016

Le vide des psychotiques, un mythe soignant ?






J'ai toujours entendu parler, principalement du côté soignant du "vide du psychotique".

J'ai durant ma carrière adhéré à cette "théorie". Par ailleurs il est très possible que je l'ai mal comprise.

Ce que j'en ai saisi : les psychotique ressentent le vide, iels seraient vides à l'intérieur. Ce qui expliquerais l'avidité à se "remplir", des choses comme la bouffe ou les clopes mais aussi de relations. Le mot "tyrannique" point.

J'ai assimilé, en me déniant psychotique, cette idée de vide en moi, parce que les psy* me le disaient. J'ai entendu, aussi que je ressentirais toujours le vide en moi mais que je pouvais apprendre à "faire avec" ("ou sans" ai-je répondu au psychiatre)

A posteriori je dirais que les moments où je me suis sentie vide étaient les moments de profonde dépression. Et le "vide", que je décrirais plutôt comme un "engluement", n'était pas un vide de tout. Il y avait la douleur, intense, elle.

Le besoin d'affection est-il constitutif d'un type de personnalité ou en corrélation avec la détresse ressentie, la dépendance vécue (dépendance à plusieurs niveaux) ? Ça se base sur quoi ce truc ? Qui est le génie qui a posé cet axiome ? Ça vient de l'observation ? L'observation de Freud ou de psy parfaitement NT qui ont reçu des psychotiques en grand nombre et ont évalué ce vide ?

Parce que je connais plein de psychotiques pas vides, pas demandeurs affectivement, plein de projets, d'idées, d'émotions.

Parce que c'est un biais affreux que de dire ça d'usager-e-s hospitalisé-e-s quand à l'hôpital le plus souvent on n'a que les repas pour s'occuper, que les traitements donnent faim, que les soignant-e-s sont interlocuteur-trices privilégié-e-s, dont on dépend réellement, à ces moments là, physiquement comme psychiquement.

Oui, là on est "avides", ou plutôt, étant en état de maladie, on est dépendants. Et j'invite toustes les soignant-e-s à faire l’expérience des neuroleptiques un jour dans sa vie pour voir si ça rend plein de trucs.

D'ailleurs j'ai rencontré un psychologue qui lui m'a confié avoir l'impression que les psychotiques sont "trop pleins"

Ou pleins de vide ?

Je connais aussi le truc de la Mère non introjectée pour des raisons x ou y faisant que l'on ne "prend" pas la Mère en soi et on ne peut totalement se séparer de sa mère-personne ou autre objet d'amour, ni être capable d'être sa propre mère suffisamment bonne. Ont donc élaboré des psychanalystes parfaitement NT sur la base de "cas" de patient-e-s.

Moi je dis FUKITOL


Pardon, je dis que ça manque de sens, au fond, que ça manque d'investigation, que ça manque de la parole des concerné-e-s sur les concerné-e-s, et que ce ne sont pas les psychotiques les plus délirant-e-s, visiblement.

Je conclurai en expliquant une chose de ma dernière rechute et de ce qui peut être déformé à l'observation : je ressentais une douleur inédite, comme un agacement à son climax, très vive, venant d'un flux d'informations brutes qui me venaient. Des "informations" de celles qui précèdent la pensée construite (quand on fait un déclic sur un raisonnement en une seconde alors qu'on met dix minutes à l'expliquer avec des mots, mais un flux constant pendant 15h d'affilée). Comment me présentais-je alors ? Quasi mutique, répondant avec une extrême lenteur, avec ces célèbres "barrages" (discours qui se suspend brutalement), très ralentie physiquement, figée dans des postures et puis, après une longue hésitation en moi, imperceptible pour une-e observateur-trice dans un mouvement, par exemple pour aller fumer une cigarette, avec un visage figé dans la douleur et des larmes continuelles.

Je n'étais pas triste, je souffrais, différemment de la tristesse. J'étais catatonique. Je n'étais pas vide. Mes pensées étaient brutes et accélérées puissance 1000. Ce qui entravait ma communication. J'avais conscience de tout ce qui se passait (coucou à celleux qui parlent devant les catatoniques comme s'iels n'étaient pas là), je communiquais beaucoup mieux par sms (mais ça les soignant-e-s ne le vopyaient pas. Le grand gouffre de la catatonie ? Ce n'est pas parce que vous ne savez pas ce qu'il se passe dans la tête qu'il ne s'y passe rien. Ce n'est pas parce que vous ne comprenez pas qu'il faut faire entrer la personne/les symptômes visibles dans une case connue.

Si un élément ne rentre pas dans le modèle, ce n'est pas l'élément qu'il faut changer, c'est le modèle.

Pourquoi il est difficile de faire remonter un problème en HP




Parfois j'évoque auprès de proches ou moins proches des problèmes, certains graves, advenus en HP et il m'est demandé pourquoi je ne l'ai pas signalé au médecin chef, aux infirmier-e-s. 

Par rapport à d'autres usager-e-s : des cas de vols, insultes, harcèlement sexuel ou pour cigarettes. Déjà car j'aime à régler ce genre de souci par moi-même. Je ne vais pas voir "la maîtresse" à chaque fois. C'est chiant, pour le vol, mais c'est induit par le contexte "carcéral", par le contexte de privation de liberté et d'accès à des affaires, ou à des états ou l'autre usager-e-s ne sait pas très bien ce qui est à ellui ou aux autres. Et puis sur toutes les fois où j'en ai parlé aux infirmier-e-s dans le but de récupérer mes affaires (souvent des livres)(et franchement je peux en vouloir à personne de vouloir lire), une seule a abouti à un retour de mon bouquin, les autres fois ça a été "oui on sait mais on ne peut pas faire grand chose sans preuve""on peut pas tout surveiller" "votre livre, il est dans l'inventaire ? Qu'est-ce qui me prouve qu'il est à vous ?". Pour les cas de harcèlement sexuel, c'est soit "On le sait mais vous voyez bien comme il est, il n'entend pas" (pour des usagers dits déficitaires, et qui par contre miraculeusement entendent très bien qu'ils ne peuvent demander quinze fois de suite une fellation à un-e soignant-e par contre), soit le harceleur "est recadré" mais de toute façon, et je vois honnêtement pas comment on pourrait faire autrement, il reste dans le même service et il a une dent contre la "délatrice". Ambiance.

Par rapport à un-e soignant-e problématique (et je parle ici d'un infirmier prédateur sexuel et d'une infirmière hyper violente verbalement ainsi que d'une interne idem) eh bien déjà, il faut pouvoir avoir accès au psychiatre ("pourquoi voulez-vous le voir ?") et ensuite, lae soignant-e restera ellui aussi dans le service avec une possibilité directe de nuisance, étant en position d'autorité. Et, pour le cas de l'infirmier prédateur, connaissant votre adresse qui figure dans le dossier. Voilà voilà

mercredi 27 avril 2016

Des mots psychophobes






Les mots forment le langage, et je suis convaincue que le langage forme la pensée, la manière de penser, dans ce qu'elle a de culturel du moins.
Dans sa grammaire, bien sûr, mais aussi dans le choix des mots, les expressions que l'on emploie sans y penser, parce qu'on les entend/utilise depuis toujours ou presque. Sans penser à mal, parce qu'On n'est pas de mauvaises personnes, et qu'ils sont "juste une façon de parler"

Ce sont de drôles de façon, parfois, mais l'on n'y "pense" même pas. On ne le pense pas cependant On le dit, comme On dit "Je ne voulais pas dire ça je ne le pensais pas", et je me questionne réellement : la pensée précède-t-elle toujours les mots, les mots ne formatent-ils pas la pensée, eux aussi ?

Des mots psychophobes (et/ou validistes), on en entend toustes, on a toustes tendance à en dire. Ce sont souvent des insultes : taré-e, gogol-e, déglingué du bulbe, t'as les fils qui se touchent,...
Ce sont souvent des diagnostics assénés comme des insultes et raccourcis : schizo, parano, hystérique, triso, PN...
Ce sont très souvent des diagnostics ne recevant plus de validité scientifique, mais qui ont recouvert des diagnostics actuellement validés, pour désigner les gen-te-s qui sont, pensons nous, sortis de la société des humain-e-s par des actes abominables qu'iels ont commis : psychopathe, sociopathe
Ce sont parfois des termes anglo-saxon adoptés dans le langage courant français : weirdo, psycho,...

Ces mots, qui sont utilisés comme insulte, comme qualificatifs rabaissant, servent à taxer un collègue méfiant, un chef rigide, un-e ami-e jalouxse, un tueur de masse, un violeur en série, surtout d'enfants.

Voyez comme par le choix, ou l'automatisme de leur emploi On ancre dans les idées l'association (ou pensée automatique pour les tenants des thérapies comportementalo-cognitivistes) que les fous sont dangereuxses, répugnant-e-s, à exclure de la société voire de fait hors de l'humanité.

On le fait sans y penser comme on se méfie sans y penser, presque par-devers nous, de la personne sans abri qui parle "toute seule" dans la rue, comme On a davantage peur d'un-e schizophrène pourtant tout à fait paisible lorsqu'on lui connaît ce diagnostic que d'une personne dite "sanguine" mais estampillée NT.

Une amie me disait qu'elle était mal à l'aise près de personnes délirantes dans les transports en commun parce qu'elles sont imprévisibles. S'en est suivie une petite discussion, et je précise que je ne suis pas à l'abri d'éprouver cette appréhension parfois (malgré moi, malgré tout ce que je sais en théorie comme ne vécu). J'ai notamment comparé les gen-te-s visiblement délirant-e-s ou halluviné-e-s avec des hommes qui se collent à nous dans les transports, ou nous abordent de façon crue. "Mais on sait, là". Nous avons donc plus peur d'une personne que l'on sait presqu'avec certitude inoffensive que d'une personne qui nous agresse déjà et risque d'attenter plus avant à notre intégrité physique et psychique.

Les mots fondent cela en partie, j'en suis persuadée.

Je ne dis plus "parano" je dis "méfiant-e"
Je ne dis plus "psychopathe", j'use de termes plus enlevés, et je me force à me dire que je ne comprends pas (parce que si On ne comprend pas les fous, ce que je comprends, cela ne veut pas dire que celleux que nous ne comprenons pas sont fous)
Je dis schizo pour parler de moi
Je ne dis plus "cette situation est borderline" je dis "cette situation est ambiguë" (de la même façon qu'une situation n'est pas schizophrène n'est-ce pas)

Parce qu'il ne s'agit pas seulement de ne pas offenser les personnes concernées, il s'agit pour moi de déconstruire le langage et par là des modes de pensée.

jeudi 21 avril 2016

(Début des) troubles et âgisme






Adolescente j'ai débuté les troubles "explosifs". Entendons-nous bien, avant, mon mal-être se voyait, mes parents l'avaient constaté, certain-e-s professeur-e-s aussi. Mais il s'agissait de dépression, je lisais beaucoup "pour m'évader" et avais de bons résultats scolaires et finalement ça n'avait d'incidence sur la vie de personne, sauf la mienne (si toi aussi t'es depressif-ve et qu'on t'invisibilise tape dans tes mains)

Au décours d'une déception amoureuse j'ai fait une tentative de suicide et à cette occasion vu un généraliste (qui m'a dit en gros que quoi de plus naturel pour une jeune femme de se tuer par amour et t'en verras d'autre allez bon courage) et puis "c'est parti en roue libre". Beaucoup d'alcool, de canabis, des expériences, des partenaires sexuels qui variaient beaucoup (je ne considère pas cela comme un symptôme, mais cela m'a été désigné comme tel), des scarifications, brûlures, maltraitances, des privations de nourriture, eau, sommeil. Des troubles du comportement (engueulades avec ma mère qui avait ma charge, parfois l'on se battait) et puis le début de la jalousie pathologique et son cortège de "scènes", abus de ma part, violences verbales.

Alors on me disait "ado difficile", "ça va passer avec l'âge", "tu es comme tous les ados tu veux être différente" (sauras-tu trouver l'injonction paradoxale qui se cache dans cette phrase ?), "tu fais des expérience" etc
Si bien qu'on est toustes tombé-e-s dans le truc du "c'est l'adolescence". Je me suis dit a posteriori que c'était juste ma famille et moi les déconnant-e-s.
Et puis j'ai discuté avec des gen-te-s, des ados, alors des qui allaient bien, et il n'y avait pas la célèbre "crise d'ado", comme quoi visiblement ce n'est pas obligatoire. Et aussi, des gen-te-s qui allaient mal et aussi visiblement c'était pas lié à l'âge.

Que je sache tous les hommes blancs hetero de 50 ans ne sont pas en situation de souffrance extrême et de détresse, pourtant on parle de "la crise des 50 ans". Une "crise" si crise il doit y avoir, n'a pas forcément à porter atteinte à l'intégrité psychique et physique de cellui qui la vit. C'est une période de bouleversement qui peut être intense et positive débouchant sur un changement. Si ce changement est la mort psychique et/ou physique, il y a un problème, non ?

Le même généraliste vu précédemment avait d'ailleurs refusé de me diriger vers un-e médecin psychiatre alors que je demandais "un travail plus approfondi" sous la raison qu'il n'allait "pas [me] psychiatriser à [mon] âge"
Je sais pas, je ne lui ai pas dit "pitié, envoyez moi 6 mois en Unité pour Malades Difficiles" ni "gavez moi de neuroleptiques", je souhaitais entamer une psychothérapie.
Il y a un âge pour entamer un travail par la parole ? Et jusqu'à cet âge, c'est comme pour le RSA, on peut galérer la gueule ouverte ?

Je ne souhaite pas non plus culpabiliser les parent-e-s plus que ça, parce qu'ok c'est compliqué. Mais les ados ne font pas forcément de "crise", si votre enfant-e se scarifie, cesse de manger, pleure ou est triste sans cesse, se plaint d'angoisse, ce n'est probablement pas une passade, ni pour "se rendre intéressant-e", ni les hormones (pitié, pas les hormones), ni bien naturel quand on a un chagrin d'amour. Ça n'a rien de naturel de tenter de mourir. Là, l'âgisme se couple à la psychophobie pour un cocktail insupportable pour cellui qui débute des troubles, vit des troubles d'ordre psy, invisibilisé plus que jamais, avec un accès difficile aux soins puisque le plus souvent dépendant de ses parent-e-s financièrement et pour les droits Sécu, cela entraine un diagnostic et des soins beaucoup plus longs à venir, et un lot de souffrance.

mardi 12 avril 2016

Rétablissement



J'ai vécu tout d'abord dans l'idée populaire que la folie colle à la peau, fou un jour fou toujours, puis dans l'idée para médicale et médicale que la psychose "se soigne mais ne se guérit pas" et quand même qu'il s'agissait d'une structure de personnalité craignos, que la schizophrénie signifiait de multiples rechutes et que le pronostic à long terme était merdique.

C'est aussi cela qui m'a fait dénier si longtemps mes troubles. Qui m'a fait si peur et refuser la lourde étiquette de schizophrène, de psychotique.

Mais au fond, quoi "ça n'est que ça" me suis-je dit en "réalisant". Les psychiatres, beaucoup d'entre elleux, rechignent à poser, ou du moins à annoncer ce diagnostic "difficile" et "ce qu'il recouvre". Peut-être parce que ces soignant-e-s là n'ont pas l'idée claire de la large possibilité de rétablissement, qu'iels nous refusent.

Et peut-être que si nos voix étaient entendues, si l'auto-support était mieux reconnu, ce poids, qui est en partie un fantasme, serait levé de l'esprit des professionnel-le-s de la psy et le dialogue, l'annonce, les plans de soins seraient bien différents.

Je me rappelle d'un trouble qui était fréquent quand j'ai commencé ma carrière (fin des années 90) : la BDA ou bouffée délirante aigüe. Il s'agit d'un état psychotique soudain, aigu, avec une production délirante et hallucinatoire très riche et foisonnante. La BDA est de bon pronostic, il se disait alors qu'un tiers des usager-e-s ayant vécu cette expérience n'en revivrait plus jamais, un tiers en revivrait ponctuellement sans autre incidence sur la vie, un tiers développerait une schizophrénie.

En France, c'était avant que le DSM et le CIM aient vraiment pignon sur rue, la BDA n'était pas classifiée comme étant une psychose.

Tu vois l'délire ? Donc aux USA, avec le DSM (II à l'époque je crois bien) 35% ou approchant des psychoses étaient guéries, tandis qu'en France, beaucoup moins. Parce que la BDA c'est pas une psychose. Mais là où le serpent se mord la queue, c'est qu'il me semble que le problème pouvait être envisagé comme "nous, on dit que c'est pas une psychose puisque les usager-e-s en guérissent.

J'ai parlé dans un billet précédent de ce nombre considérable de schizophrènes vivant tranquillement chez eux et étant parfaitement insérés. De nous, les "exceptions".

Le droit à ce que notre rétablissement soit reconnu nous est refusé.

Certes, je me considère comme "malade", personnellement. Pour une raison très simple est que je dois prendre un traitement de fond pour éviter une rechute. Rechutes qui ont considérablement changé en durée et en "aspect". Lors qu'avant je mêlais des états mixtes et des états délirants et dissociatifs pendant des mois, je vis maintenant des états brefs, quatre cinq jours, sans production délirante, vivant simplement une souffrance psychique que je ne peux nommer car je ne connais pas de mot (il ne s'agit ni d'angoisse, ni de tristesse, ni de dissociation, une souffrance intense qui m'est inédite)
Si je ne peux plus travailler - pour le moment - et que je suis en retraite anticipée, je peux assumer les tâches ménagères, étudier et surtout vivre une vie de couple en cohabitation, chose qui m'était parfaitement impossible durant de nombreuses années.
Pourtant On ne me trouve que difficilement rétablie.
Ce que m'a dit le psychiatre hospitalier m'avait rendue un peu perplexe. Je lui expliquais que maintenant durant mes décompensations je ne "perdais plus la tête", je me "voyais décompenser de l'intérieur sans pouvoir faire grand chose" et il avait constaté "C'est ça qui ne "fait" pas schizophrène"
La fameuse lucidité et où on la place.
Tout cela pour dire, je prends des médicaments, alors je vis avec une maladie chronique, mais je suis rétablie.

J'ai lu il y a quelques années une interview de Tobie Nathan, ethnopsychiatre, qui expliquait que dans certaines sociétés la folie peut être vue comme une "possession", un envahissement, qu'il existe et sont pratiqués alors des rituels de "purification", d"exorcisme", de soins, sur la place publique, en présence de toustes.
Voilà, la personne est souffrante, ou possédée, soignée en public, rétablie et son rétablissement est acté par toustes.
Tobie Nathan ajoutait que dans une société occidentale, le soin se passe dans le secret du cabinet du-de la psy, dans le secret de la clinique, de l'hôpital, fermés. On ne sait ce qui s'y passe, personne n'y participe, personne n'assiste au recouvrement de la santé mentale, le stigmate reste.
A vie.
Le soupçon du mal encore en l'autre. Comme si le soin, et il est vrai qu'il est compliqué d'expliquer ce qu'il se passe en thérapie, que nous usager-e-s protégeons notre intimité et que ma foi la pratique psychiatrique, psychologique, psychanalytique, cultive ce sceau du secret, comme si le soin lui-même était  tabou. Tout ce qui touche à la folie et au malaise psychique était contaminant.

Cet espace, ces murs placés entre les fous et la société semble parfois infranchissable. La folie est en France si indicible. Si inaudible pour tant de gen-te-s.

Mais nous pouvons guérir. Nous n'avons pas à être exclu-e-s de la société des humain-e-s. Nous avons droit à la cité, de cité. Ma schizophrénie ne devrait pas être une maladie honteuse.

Injonction : "Arrête d'y penser"






Voilà une injonction fréquemment entendue par ceuxlles qui "broient du noir"
Enfant, puis adolescente, j'étais très "préoccupée". Mes études puis ma carrière m'ont fourni des mots pour cela : anticipation anxieuse, rumination anxieuse, rumination morbide. Anxiété, angoisse, dépression, idéations subdélirantes, délire.
Les pensées s'enchaînent, s'emmêlent, amplifient la souffrance ressentie, un gros paquet d'angoisse, et/ou de tristesse.
Et je ne comprenais pas quand on me disait "Arrête d'y penser"
Vraiment, l'impératif concernant le flux et la qualité de mes pensées... Je ne comprenais pas.
Spoiler alerte : maintenant je "comprends" le truc.
Je ne comprends pas comment faire, je ne pouvais pas, maintenant je peux beaucoup plus. Ainsi les pensées et émotions douloureuses ne sont pas contrôlables par certain-e-s, souvent en état de malaise ou de maladie, et beaucoup plus par d'autres qui, hey scoop, vont bien. C'est comme un outil psychique dont je ne disposais pas et que j'ai acquis. Aujourd'hui si je me surprend à "ruminer", je suis capable de me dire, et c'est un gros effort conscient à faire "arrête ça, Ju", et de ralentir les idées noires, prendre un cachet ou faire un truc ou écouter une musique gaie.


Pour ceuxlles qui savent contrôler cela, le plus souvent ceuxlles en état de santé, qui n'ont jamais connu l'envahissement de la pensée et des affects par des choses sombres, inquiétantes, inhabituelles et ne semblant prendre racine en rien de concret : il est inutile de lancer des injonctions à une personne qui vit cela et est donc  incapable de maîtriser cet état.
Vous vous y arrivez, cela vous est aussi naturel que de mouvoir un bras ou de respirer. Nous nous n'y arrivons pas ou peu.
Et l'injonction amplifie le sentiment d'angoisse, de détresse. D'incompréhension. L'injonction silencie.
Dans le florilège, il y a
"Arrête de penser à ça"
"Tu n'as rien à craindre" (qui peut être très bienveillant, et j'admets n'avoir aucun "truc" à fournir pour aider à rassurer, donc pourquoi pas)(mais essayez de ne pas nier le sentiment qui lui est réel)
"Tu as tout pour être heureux-se" (visiblement, non)
"D'autres gen-te-s ont pire" (ce qui est sans doute vrai mais n'a rien de réconfortant)
"Tu te complais dans ton malheur" (la pire... guess why)
"Ça va passer" (c'est même pas sûr, perso ça a mis 20 ans à me passer donc bon...)
"Pense à toustes les gen-te-s qui t'aiment" (c'est sans doute difficile pour elleux, mais en fait ça n'aide pas)


Émettre l'une de ces injonctions, c'est dire à la personne "ton sentiment n'est pas réel, tu le fais exprès, tu nous rend malheureuxses pour rien, ta gueule et souris", c'est nier, silencier, culpabiliser.

Simplement, simplement, garder à l'esprit que l'interlocuteur-trice n'est pas en capacité d'arrêter de penser que sa mère va mourir/est morte, que la ruine lae guette (financière physique et morale), que son amour-e ne l'aime plus, que la vie est vraiment une vallée de larme. On ne dit pas à quelqu'un avec une fracture "allez, marche" ou "ben arrête d'avoir mal tu nous saoules"

Et perso quand ça ne va pas, j'écoute de la musique triste, je lis des ouvrages cruels, ça ne me change pas les idées de lire des trucs rigolos ou d'écouter des trucs rigolos. C'est hors de propos, hors de ma portée, et obscène. Comme un nez de clown à un enterrement.