mercredi 11 septembre 2019
Diagnostic : une annonce libératrice ?
Mon cas est quelque peu particulier puisque je suis restée dans le déni de ma schizophrénie durant dix ans après l'annonce du diagnostic (cf le premier billet de ce blog)
Avant l'annonce des mots "Troubles schizo-affectifs" je suis restée dans une errance diagnostique de 15 ans. Voire davantage si l'on considère que j'ai été une enfant très anxio depressive et phobique sociale, mais que comme mes résultats scolaires allaient bien et que dans les années 80/90 on n'emmenait les enfants consulter qu'en cas d'impact grave sur la vie quotidienne et/ou scolaire, c'est passé à l'as (bien qu'ayant été signalé par des institutrices, profs de sport extra scolaire, remarqué par mon père notamment et qu'il y ai eu des alertes comme une fugue à l'âge de 11 ans)
Je suis psychiatrisée de ma volonté depuis l'âge de 17 ans, début des troubles on va dire bruyants. Une TS suite à une rupture amoureuse, une augmentation de ma conso d'alcool et de stupéfiants (ayant commencé entre 13 et 15 ans), des troubles affectifs et du comportement et des idéations délirantes autour du corps (dont je n'ai commencé à parler que récemment) et de jalousie pathologique (ayant ruiné toutes mes interactions romantiques jusqu'à mes 38 ans)
Depuis ce moment là j'ai connu une série de diagnostics divers et variés : névrose d'angoisse, "troubles graves de la personnalité de type narcissique et pervers", TPB ("vous êtes un cas comme dans les livres"), schizophrénie paranoïde, psychose maniaco depressive (aujourd'hui on dit bipolaire type I)
Généralement je me gardais de poser la question du diagnostic et les psychiatres se montraient avares en renseignements. Chaque diagnostic évoqué me mettait en fureur et motivaient la rupture avec lae thérapeute.
A vrai dire je ne l'ai demandé qu'au Dr B., que j'ai déjà évoqué, un psychiatre chef d'HP qui me connaissait bien, usait d'un petit paternalisme affectueux qui me rassurait et m'a sauvé la vie plusieurs fois en m'accueillant à l'arrache dans son hôpital (par ailleurs lamentable mais soit, j'étais coupée des produits et mise sous Risperdal ce qui me retapait en quinze jours).
Le diagnostic de TPB c'était lui. A l'époque (je dirais 1997) il se disait que ces troubles ne pouvaient pas se soigner, n'avaient pas de traitement, que les personnes vivant avec mouraient précocément de mort violente, mais que si la survie était assurée ça pouvait se lisser à la quarantaine. Quand on a 22 ans ça fout les boules. Un avenir incertain, une seule perspective de soin : se faire mettre une solide camisole chimique en esperant atteindre péniblement la quarantaine puis commencer une "nouvelle vie" plus calme mais ravagée de tout. Et il se disait, comme il se dit toujours hélas et à tort, que les personnes vivant avec ce trouble étaient spécialement chiantes et ingérables.
Je m'imaginais donc que mes productions délirantes et hallucinatoires étaient dues aux toxiques ingérés en masse et que la seule sobriété les résolvait, ce qui me faisait arrêter le Risperdal dès que je mettais un pied hors de l'hôpital. La boucle se rebouclait environ une fois par an, avec chaque fois des rechutes plus violentes doublées d'incurie, une présentation lamentable sur mon lieu de travail et un dossier se montant contre moi de plus en plus étoffé, dans mon dos, échappant à toute évaluation annuelle de la cadre, sachant que la psychophobie des soignant-e est plus aigue encore quand la folie touche un-e autre soignant-e (ça devient très inquiétant sur sa propre santé mentale)
Bref, meanwhile in HP, je redemande un jour au Dr B. de quoi je souffre. Il me lâche les mots de "troubles schizo-affectifs". N'en ayant eu aucune connaissance durant mes études ni sur mon lieu de travail (je crois que c'est un terme de Bleuler remis au goût du jour dans les années 2000, date a laquelle j'étais déjà reclassée) je ne savais pas de quoi il s'agissait. C'est en toute simplicité que j'ai dit "et c'est quoi ?"
Note : Le Dr B etait de cette école hélas répandue selon laquelle il ne faut pas annoncer un diagnostic à un-e usager-e sous peine qu'iel s'identifie à la pathologie, regresse dedans et n'ai plus jamais aucune autre identité.
Il a marmonné un truc très vague sur les troubles affectifs et "un petit côté bipolaire".
Je me suis gardée d'en demander plus. Je me trainais alors une culpabilité intense et un enorme sentiment de secret refoulé avec tous les fantasmes et délires que cela peut déclencher (inceste ? Fausse paternité ? Secret familial honteux ? Trauma refoulé durant l'enfance ?)
en 2010, fraichement remise d'un episode maniaque puis melancolique (la routine, en plus fort) j'ai googlé le terme. Seul Wikipédia m'a répondu qu'il s'agissait d'une forme de schizophrénie. "Allons bon" me suis-je dit. Wikipédia regorge de connerie. Par ailleurs j'écume les internets depuis tout ce temps et les resources sur les TSA sont plus que rares.
Au décours d'une cure de sevrage alcoolique j'ai été sevrée d'une partie de mon traitement psychiatrique et ai traversé une thérapie de groupe qui, à mon avis, a été trop rapide et violente rapport à ma fragilité. Nous prenions à chaque séance tour à tour la parole, quand ça a été mon tour j'ai longuement parlé de ma mère, une questiona été posée (inhabituel) et la psychologue a déclaré "la question qui est à se poser est 'pourquoi julie n'accède-t-elle pas au second degré ?'"
Cette phrase disait deux choses : une negation totale de mon vécu de maltraitance psychologique ("ce ne sont que des blagues") et le diagnostic de schizophrenie (il est bien connu que nous n'avons pas accès au second degré trololol)
Je me suis redressée outrée et ai dit "j'ai accès au second degré, je ne suis pas... oh wait" et la lumière fut.
Immédiatement deux choses se sont produites : d'une part une décompensation catatonique impressionnante et immensément douloureuse, d'autre part un soulagement intense. Mon lourd secret, c'était être schizophrene. Ce n'était que cela. Il n'y avait rien d'obscur, il n'y avait rien d'irrémédiable, il n'y avait pas de malédiction ancestrale. Au passage pro tip pour les soignant-e-s et les proches : une personne catatonique n'a pas accès a l'expression verbale ou même corporelle, mais c'est pas pour ça qu'il ne se passe rien dans la tête. Je luttais aprement contre un flot constant d'informations brutes, de type 01001100001010111, d'un agacement au level insupportable (être enfermé-e une heure avec un-e mâcheureusede chewing gum quand on est misophone puissance 10000) et d'une douleur psychique insupportable, pour laquelle il n'existe pas de mots. Je suis toujours incapable de la décrire. Plus une mise à jour crue et absolue du fin fond de l'inconscient, une lucidité absolue et extreme, j'ai oublié, mais c'était pas très joli. En gros on souffre (immensément) en silence (total). Je pense même que la lutte pour survivre psychiquement demande tellement de patate qu'elle interdit toute autre forme de quoi que ce soit.
Bref, suite à cela j'ai demandé au Dr B. comment faire pour que plus jamais ça. On a passé le Risperdal en injection retard. J'ai suivi une psychothérapie auprès d'une super psychologue, de trois ans. J'ai noté tous les signes annonciateurs de rechute et les ai transmis à mon conjoint tout neuf. J'ai arrêté de travailler. Travailler tue, pour moi. Je vis un burn out au bout de six mois de plein temps, et c'est la rechute alcoolique puis psychiatrique.
Savoir que je suis schizophrene a été pour moi une libération, un mot, un contexte, un concept, un sens. J'ai trouvé d'autres personnes schizophrenes dans les arcanes du ouebe. D'autres "schizonormales" (lucides des troubles ou de la aprticularité, selon comment on se définit). J'ai lu, des blogs, de sgroupes, j'ai milité, j'ai appris, j'ai trouvé une partie d'identité (je me définis maintenant comme fol, que je porte avec fierté) J'ai adhéré à un CMP (avec du bol car c'est un CMP avec une équipe de qualité) Ma vie s'est stabilisée. Je n'ai plus jamais été jalouse.
Peut-être... Peut-être que si étant en possession du diagnstic le Dr B. me l'avait livré en temps réel. Peut-être que s'il m'avait expliqué. Peut-être que s'il m'avait dit qu'etre schizo c'est pas grave, que des tas de gen-te-s vivent bien avec. Peut-êtr que mes couilles sur ton nez ça fait une cheminée, ouais, je sais.
Mais please les soignant-e-s. Parlez. Annoncez et surtout accompagnez le diagnostic. Ne restez pas distributeurs d'ordonnance, eduquez. Pour moi savoir que j'étais schizophrene a été une vraie libération. Un vrai sens. Une vraie partie de moi, non honteuse. Que je partage avec je crois 1% de la population. Qui se traite si on le souhaite. Qui s'accompagne. Qui se conçoit et se comprend.
Ne nous laissez plus dans le noir.
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Bonjour, merci de partager votre expérience. Je suis venu sur votre blog par rapport à un groupe face book qui partage cette page.
RépondreSupprimerConcernant les diagnostics psychiatriques, je pense qu'il s'agit de négociations entre la personne et son entourage, et la société, dont le médecin se fait le garant. Je ne pense pas que le personnel soignant puisse vous en dire beaucoup plus parce qu'ils ne savent pas en fait.
Ce qui m'a intéressé dans votre histoire c'est qu'il existe en vous une chose extrêmement douloureuse, qui s'est déclenché au cours d'une psychothérapie où on a évoqué votre mère.
J'ai une réflexion par rapport à ceci, et j'espère qu'elle ne vous choquera pas. Je pense que peut-être c'est dommage que la psychologue n'aie pas assumé un rôle de thérapeute et ne vous aie pas accompagnée au travers de cette expérience que vous décrivez comme une catatonie. Il fallait rester avec vous, vous aider à respirer et à habiter votre corps, à revenir, à situer la douleur en respirant juste là, en restant, calmement et avec empathie, avec la personne, le temps qu'il faut.