mercredi 27 avril 2016
Des mots psychophobes
Les mots forment le langage, et je suis convaincue que le langage forme la pensée, la manière de penser, dans ce qu'elle a de culturel du moins.
Dans sa grammaire, bien sûr, mais aussi dans le choix des mots, les expressions que l'on emploie sans y penser, parce qu'on les entend/utilise depuis toujours ou presque. Sans penser à mal, parce qu'On n'est pas de mauvaises personnes, et qu'ils sont "juste une façon de parler"
Ce sont de drôles de façon, parfois, mais l'on n'y "pense" même pas. On ne le pense pas cependant On le dit, comme On dit "Je ne voulais pas dire ça je ne le pensais pas", et je me questionne réellement : la pensée précède-t-elle toujours les mots, les mots ne formatent-ils pas la pensée, eux aussi ?
Des mots psychophobes (et/ou validistes), on en entend toustes, on a toustes tendance à en dire. Ce sont souvent des insultes : taré-e, gogol-e, déglingué du bulbe, t'as les fils qui se touchent,...
Ce sont souvent des diagnostics assénés comme des insultes et raccourcis : schizo, parano, hystérique, triso, PN...
Ce sont très souvent des diagnostics ne recevant plus de validité scientifique, mais qui ont recouvert des diagnostics actuellement validés, pour désigner les gen-te-s qui sont, pensons nous, sortis de la société des humain-e-s par des actes abominables qu'iels ont commis : psychopathe, sociopathe
Ce sont parfois des termes anglo-saxon adoptés dans le langage courant français : weirdo, psycho,...
Ces mots, qui sont utilisés comme insulte, comme qualificatifs rabaissant, servent à taxer un collègue méfiant, un chef rigide, un-e ami-e jalouxse, un tueur de masse, un violeur en série, surtout d'enfants.
Voyez comme par le choix, ou l'automatisme de leur emploi On ancre dans les idées l'association (ou pensée automatique pour les tenants des thérapies comportementalo-cognitivistes) que les fous sont dangereuxses, répugnant-e-s, à exclure de la société voire de fait hors de l'humanité.
On le fait sans y penser comme on se méfie sans y penser, presque par-devers nous, de la personne sans abri qui parle "toute seule" dans la rue, comme On a davantage peur d'un-e schizophrène pourtant tout à fait paisible lorsqu'on lui connaît ce diagnostic que d'une personne dite "sanguine" mais estampillée NT.
Une amie me disait qu'elle était mal à l'aise près de personnes délirantes dans les transports en commun parce qu'elles sont imprévisibles. S'en est suivie une petite discussion, et je précise que je ne suis pas à l'abri d'éprouver cette appréhension parfois (malgré moi, malgré tout ce que je sais en théorie comme ne vécu). J'ai notamment comparé les gen-te-s visiblement délirant-e-s ou halluviné-e-s avec des hommes qui se collent à nous dans les transports, ou nous abordent de façon crue. "Mais on sait, là". Nous avons donc plus peur d'une personne que l'on sait presqu'avec certitude inoffensive que d'une personne qui nous agresse déjà et risque d'attenter plus avant à notre intégrité physique et psychique.
Les mots fondent cela en partie, j'en suis persuadée.
Je ne dis plus "parano" je dis "méfiant-e"
Je ne dis plus "psychopathe", j'use de termes plus enlevés, et je me force à me dire que je ne comprends pas (parce que si On ne comprend pas les fous, ce que je comprends, cela ne veut pas dire que celleux que nous ne comprenons pas sont fous)
Je dis schizo pour parler de moi
Je ne dis plus "cette situation est borderline" je dis "cette situation est ambiguë" (de la même façon qu'une situation n'est pas schizophrène n'est-ce pas)
Parce qu'il ne s'agit pas seulement de ne pas offenser les personnes concernées, il s'agit pour moi de déconstruire le langage et par là des modes de pensée.
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