mardi 12 avril 2016

Rétablissement



J'ai vécu tout d'abord dans l'idée populaire que la folie colle à la peau, fou un jour fou toujours, puis dans l'idée para médicale et médicale que la psychose "se soigne mais ne se guérit pas" et quand même qu'il s'agissait d'une structure de personnalité craignos, que la schizophrénie signifiait de multiples rechutes et que le pronostic à long terme était merdique.

C'est aussi cela qui m'a fait dénier si longtemps mes troubles. Qui m'a fait si peur et refuser la lourde étiquette de schizophrène, de psychotique.

Mais au fond, quoi "ça n'est que ça" me suis-je dit en "réalisant". Les psychiatres, beaucoup d'entre elleux, rechignent à poser, ou du moins à annoncer ce diagnostic "difficile" et "ce qu'il recouvre". Peut-être parce que ces soignant-e-s là n'ont pas l'idée claire de la large possibilité de rétablissement, qu'iels nous refusent.

Et peut-être que si nos voix étaient entendues, si l'auto-support était mieux reconnu, ce poids, qui est en partie un fantasme, serait levé de l'esprit des professionnel-le-s de la psy et le dialogue, l'annonce, les plans de soins seraient bien différents.

Je me rappelle d'un trouble qui était fréquent quand j'ai commencé ma carrière (fin des années 90) : la BDA ou bouffée délirante aigüe. Il s'agit d'un état psychotique soudain, aigu, avec une production délirante et hallucinatoire très riche et foisonnante. La BDA est de bon pronostic, il se disait alors qu'un tiers des usager-e-s ayant vécu cette expérience n'en revivrait plus jamais, un tiers en revivrait ponctuellement sans autre incidence sur la vie, un tiers développerait une schizophrénie.

En France, c'était avant que le DSM et le CIM aient vraiment pignon sur rue, la BDA n'était pas classifiée comme étant une psychose.

Tu vois l'délire ? Donc aux USA, avec le DSM (II à l'époque je crois bien) 35% ou approchant des psychoses étaient guéries, tandis qu'en France, beaucoup moins. Parce que la BDA c'est pas une psychose. Mais là où le serpent se mord la queue, c'est qu'il me semble que le problème pouvait être envisagé comme "nous, on dit que c'est pas une psychose puisque les usager-e-s en guérissent.

J'ai parlé dans un billet précédent de ce nombre considérable de schizophrènes vivant tranquillement chez eux et étant parfaitement insérés. De nous, les "exceptions".

Le droit à ce que notre rétablissement soit reconnu nous est refusé.

Certes, je me considère comme "malade", personnellement. Pour une raison très simple est que je dois prendre un traitement de fond pour éviter une rechute. Rechutes qui ont considérablement changé en durée et en "aspect". Lors qu'avant je mêlais des états mixtes et des états délirants et dissociatifs pendant des mois, je vis maintenant des états brefs, quatre cinq jours, sans production délirante, vivant simplement une souffrance psychique que je ne peux nommer car je ne connais pas de mot (il ne s'agit ni d'angoisse, ni de tristesse, ni de dissociation, une souffrance intense qui m'est inédite)
Si je ne peux plus travailler - pour le moment - et que je suis en retraite anticipée, je peux assumer les tâches ménagères, étudier et surtout vivre une vie de couple en cohabitation, chose qui m'était parfaitement impossible durant de nombreuses années.
Pourtant On ne me trouve que difficilement rétablie.
Ce que m'a dit le psychiatre hospitalier m'avait rendue un peu perplexe. Je lui expliquais que maintenant durant mes décompensations je ne "perdais plus la tête", je me "voyais décompenser de l'intérieur sans pouvoir faire grand chose" et il avait constaté "C'est ça qui ne "fait" pas schizophrène"
La fameuse lucidité et où on la place.
Tout cela pour dire, je prends des médicaments, alors je vis avec une maladie chronique, mais je suis rétablie.

J'ai lu il y a quelques années une interview de Tobie Nathan, ethnopsychiatre, qui expliquait que dans certaines sociétés la folie peut être vue comme une "possession", un envahissement, qu'il existe et sont pratiqués alors des rituels de "purification", d"exorcisme", de soins, sur la place publique, en présence de toustes.
Voilà, la personne est souffrante, ou possédée, soignée en public, rétablie et son rétablissement est acté par toustes.
Tobie Nathan ajoutait que dans une société occidentale, le soin se passe dans le secret du cabinet du-de la psy, dans le secret de la clinique, de l'hôpital, fermés. On ne sait ce qui s'y passe, personne n'y participe, personne n'assiste au recouvrement de la santé mentale, le stigmate reste.
A vie.
Le soupçon du mal encore en l'autre. Comme si le soin, et il est vrai qu'il est compliqué d'expliquer ce qu'il se passe en thérapie, que nous usager-e-s protégeons notre intimité et que ma foi la pratique psychiatrique, psychologique, psychanalytique, cultive ce sceau du secret, comme si le soin lui-même était  tabou. Tout ce qui touche à la folie et au malaise psychique était contaminant.

Cet espace, ces murs placés entre les fous et la société semble parfois infranchissable. La folie est en France si indicible. Si inaudible pour tant de gen-te-s.

Mais nous pouvons guérir. Nous n'avons pas à être exclu-e-s de la société des humain-e-s. Nous avons droit à la cité, de cité. Ma schizophrénie ne devrait pas être une maladie honteuse.

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