jeudi 22 octobre 2015
Le travail rémunéré
J'ai jusqu'aujourd'hui toujours travaillé. Je signifie par là, travaillé à l'extérieur contre rémunération. J'ai été infirmière à tout juste vingt ans, métier qui n'est pas de tout repos, et je me montrais surinvestie dans ce poste, qui était, je peux le dire, toute ma vie. Il y eu des moments de maladie au travail, douloureux et honteux à ma remémorer, des arrêts de travail, souvent long
s. Je tenais à mon poste, j'adorais mon taff, je faisais mes trente-neuf puis trente-cinq heures hebdomadaires sans trop rechigner (malgré des réveils parfois compliqués), les week-end, les nuits parfois, les vacances en décalé - tout cela ne me dérangeait pas. Les usagers que j'avais partiellement en charge m'étaient très important, bref, je faisais un taff d'infirmière, avec une tendance workaholic : je m'ennuyais et me sentais vide quand j'étais absente trop longtemps. J'ai été placée ensuite à un poste adapté : on ne voulait plus de moi en service de soins, je le comprends. J'ai effectué un taff de secrétaire, auquel j'ai pris intérêt et plaisir, que j'ai tenu deux ans. J'étais stable, mais ça commençait à craqueler, mon travail s'en ressentait, mon poids aussi, ma domesticité n'en parlons pas.
Je suis partie comme un jeune chien fou dans le soin en libéral, ce fut la cata, à peine arrivée à T. j'allais très mal, sans en avoir conscience. Je pensais suivre un homme que j'aimais, avec qui je n'ai pas vécu, je crois que je fuyais mes limites. Mon médecin psychiatre m'avait déjà proposé de cesser le travail et de demander l'AAH, mais je le refusais. Je me trouvais jeune (30 ans), pleine de capacités, de projets (lesquels ? je n'aurais pu en préciser aucun), ne plus travailler aurait été pour moi synonyme, comme pour beaucoup de personnes, aller à la casse, devenir inutile, être "en marge", ma grande frayeur. J'ignorais que j'étais déjà en marge. Persuadée d'être sous le coup de troubles purement bipolaires avec des problèmes d'addiction, je pensais, comme je l'ai décrit dans mon bill'et sur le déni, que ma pathologie me venait directement de la néfaste influence de mes proches, donc que couper les ponts allait magiquement me guérir et que je vivrai heureuse et "parfaitement normale" jusqu'à la fin de mes jours et même après.
Je nourrissais des rêves parfaitement normatifs : un mari, une maison ou un appartement (la possession immobilière était mon Graal), quelques chats, les enfants je n'étais pas sûre, mais probablement que si je guérissais comme prévu je serais capable et j'en aurais envie comme toutes les femmes normales (sic. On m'aurait demandé je me serai posée comme childfree, mais dans le fond du fond de mon coeur je crevais d'une vie si bien rangée et semblable à ce que je croyais être la multitude confortable,) j'aurais un emploi passionant (et le mien l'était) enrichissant et bien payé, bref, ce serait la fête à la maison pour les siècles des siècles.
Et puis je disposais, pensais-je, d'une vraie force de travail et d'un cerveau capable.
L'experience à T. a échoué, je me suis crashée sur mes limites, je suis rentrée la queue basse.
J'ai fini par demander ma réintégration, puis j'ai retaffé, après 2 ans de congés longue durée. Je voulais à toute force bosser. Je voulais à toute force faire partie du système, être une parmi les autres, ne pas être laissée sur le bord du trottoir.
Mais voilà. Mon père a beau dire que j'ai "deux bras deux jambes" et que je peux bosser" (mention speciale validisme d'ailleurs), mon beau-père a eu beau me dire quand j'appelais sur une crise d'angoisse majeure "tu ne travailles que depuis quatre jours alors tu te secoues et tu y retournes", j'ai eu beau me dire que j'avais le droit et le besoin de vivre "comme tout le monde", travailler à l'exterieur me semble néfaste.
Au bout d'un an, je cède sur l'alcool, et rapidement je décompense ma schizophrénie. Et je dois être hospitalisée. Et je mets un à trois ans à m'en remettre. Parce que je ne suis pas "faite" pour supporter le stress même dit "normal" d'un travail classique. Mon psychiatre m'a expliqué grossièrement le (dys)fonctionnement neurologique qui me met à mal : mon cerveau "reptilien" et mon cerveau "rationnel" sont mal équilibrés. A comprendre que l'un n'est pas plus "fort" que l'autre, mais qu'ils s'accordent mal. Si le cerveau reptilien s'occupe des émotions, la zone frontale s'occupe de les contenir et de rationaliser les infos. Par moments, ils sont sur ou sous stimulés et ça va moins bien.
C'est-à-dire que ce que personne NT fera sans y penser (reguler les émotions, délimiter l'impact d'une info) me demande un effort conscient. Je me contrôle (ce qui m'est plus difficile sous l'empire de l'alcool ou de stupéfiants, évidemment) mai cela occasionne ce que mon psychiatre appelle "une fatigue physique du cerveau". Je suis vite en burn out. Quand je dois gérer une tâche, même simple, plus l'environnement, plus le public et les collègues, plus moi-même, 35h par semaine, ça finit par craquer. Cela explique que je ne puisse plus me charger de ma vie privée : ni faire mon ménage, ni manger "raisonnablement" (si cela a un sens) (ça se traduit par des écarts de poids de 10 ou 20 g en +), je resens le besoin d'appeler et voir sans cesse mes parents pour me rassurer et me faire consoler (et allez faire comprendre combien c'est un exploit de tenir un travail de bureau...), je contrôle beaucoup moins bien mes troubles addictifs, ça se traduits par des achats compulsifs, la rechute alcoolique et crac.
Cela va faire un an que j'ai décompensé pour la dernière fois. Je suis depuis en congé longue durée. J'ai soupiré à mon psychiatre en le revoyant "je crois que je ne peux plus travailler". Il a abondé en mon sens. Je serai en février en retraite anticipée pour invalidité, je toucherai des clopinettes, normal j'ai peu cotisé (une vingtaine d'années), je ne pourrai accéder à l'AAH ni à la pension d'invalidité car je vis en couple.
J'ai mis longtemps à accepter cela vraiment, passant par les phases du deuil, choc, dépression, colère, chantage, tout comme dans les manuels.
Puis je me suis dit "Frak" Je peux vivre cette vie alternative. Ma précarité sociale et financière me fait flipper, je peux le dire - pour le moment je ne galère pas car mon compagnon subvient à nos besoins, j'obtiens encore une partie de mon salaire mai ensuite ? Et s'il lui arrive quoi que ce soit ?
Mai au final nous sommes tous à la merci d'un revers du sort. En 2015 on peut tous être pris dans le fauchage d'un licenciement économique. On peut être victime d'un accident de la vie, devenir précaire socialement.
Je travaille à la maison : je m'occupe du ménage. Ca me prend quelque heure, mais je peux, certains jours, ne rien en faire, je peux certains jours travailler beaucoup, je peux m'octroyer quarante pauses, parce que j'ai besoin de marquer un arret entre chaque tâche et ce n'est pas de la fainéantise.
Je pensais rendre à la société ce que je perçois en travaillant comme bénévole dans une association - mais j'ai repris quelques études par correspondance et je vois que j'ai déjà beaucoup de mal à tenir cela. Je me cultive, je lis beaucoup, je joue à des mmorpg, je partage tous les moments d'amour avec mon compagnon, je m'occupe des trois chats, je m'occupe du jardin quand le temps s'y prête.
Tout ce que les "gens normaux" font en plus de leur job.
Mais je ne peux pas faire "plus". C'est ainsi, et la stigmatisation n'aide pas à l'accepter pleinement. Mon handicap est invisible, mais il est présent.
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