dimanche 2 juillet 2017

La folle et Fort Boyard

En voilà une histoire qu'elle fait un peu de bruit dans le milieu des psychiatrisé-e-s et familles d'icelleux.
A raison.
L'épreuve de Fort Boyard, jeu d'équipe avec des célébrités traversant moult périples afin de gagner un pactole à remettre à une association (bonne initiative), nommée "la cellule capitonnée" (anciennement "l’asile") m'a marquée quand j'en ai eu vent et l'ai regardée.
La séquence que j'ai regardée aujourd'hui tôt, après avoir pris mes médications matutinales a été diffusée hier sur France 2.
Un des joueurs se fait passer une camisole couverte de petites boules pelucheuses, puis enfermer dans une cellule capitonnée. Il doit se frotter aux murs pour décrocher les boules et les placer avec les dents dans des tuyaux.
Malaise quand je me prends dans le cerveau le souvenir encore aigu, vingt ans après, de mes 15 jours de claustration en chambre "forte". Erreur me disent mes souvenirs. Si je n'ai pas été sanglée, erreur dans la conception de la chambre "capitonnée", la mienne ne l'était pas et ça faisait des bosses de se frapper la tête contre les murs. Erreur, il n'y avait pas de cuvette de WC, mais un simple seau où pisser et chier. Erreur dans les tags aux murs, je n'avais pas droit aux marqueurs, crayons, stylos, non plus qu'à de simples livres a couverture souple. Et on s'ennuie H24 entre 4 murs sans compagnie qu'un infirmier dix minutes trois fois par jour pour le plateau repas prédécoupé qu'on mange par terre.
Et en vingt ans les conditions de contention se sont plutôt durcies.
Les souvenirs affluent : l'hôpital psy insalubre, les chambres à trois lits, les pyjamas bleus, les soignant-e-s jamais là, les patient-e-s pervers-e-s ou désespéré-e-s, en conditions carcérales, qui prédatent et trafiquent. Mais aussi lieu d'asile au sens noble, le lieu qui m'a permis plusieurs fois de ne pas mourir.

Mais de quoi serais-je morte ? De trop d'alcool, de trop de toxiques, de trop de cette automédication désespérée. De trop de souffrance, de trop de solitude, de trop de TS qui un jour se réussissent, de cette détermination à crever couplée à ce devoir-vivre, ce vouloir-vivre féroce qui toujours tient, quelque part.

Je serais morte de la discriminations, de la société qui veut éliminer les anormaux qui ne peuvent pas se corriger, cette discrimination qui prend racine dans la culture populaire, dans les légendes urbaines, dans des images telles que celles que j'ai vues, ce matin, tôt, juste après ma prise de traitement. L'image d'un fou, furieux, qui "marche sur la tête" (la cellule tourne sur elle-même, la caméra restant fixe, donnant l'impression que le "fou" marche sur les murs et au plafond) Je serais morte de ce que mon père croit encore que l'asile et les fous c'est comme ça. Je serais morte des comptines des enfants biberonnés à la télé qui croient que l'HP et les fous, c'est ça.

Mais je serais pas morte de pas en rire. J'en ris, de ma folie, même mes rares voix parfois me font des blagues fort à propos. Je ris d'absurde de situation, je ris de kafkaïsmes administratifs et hospitaliers qui touchent au grotesque et nous broient chaque jour. Je sais me divertir, je chante, je lis, je ris, j'échange, avec des fous, avec des normaux.

J'aime rire et me divertir, j'aime plaisanter de sujets graves, tant que je suis concerné-e directement par cette discrimination, je n'aime pas me moquer méchamment de celleux qui souffrent, je n'en peux plus que nous fous soyons encore les sujets de blagues niveau carambar ou facholand, que nos souffrances et nos conditions de "détention thérapeutique" soient un sujet de divertissement.


Je nous épargne la comparaison avec d'autres types de souffrance dont presque personne ne rit, le rire c'est la politesse du désespoir parait-il, ce qui n'autorise pas les personnes qui ne sont pas désespérées à en faire usage aux dépens de celles qui le sont.

Cette épreuve de Fort Boyard est stigmatisante, autant pour les usager-e-s de la psychiatrie que pour les lieux de soin et les soignant-e-s qui essaient souvent frénétiquement de faire leur taff dans des conditions austères de merde, elle est insultante, elle est "trigger" (elle ravive un traumatisme), elle n'a rien à foutre sur une chaine de service public dans un programme destiné en partie à la jeunesse.

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