mardi 12 avril 2016

Injonction : "Arrête d'y penser"






Voilà une injonction fréquemment entendue par ceuxlles qui "broient du noir"
Enfant, puis adolescente, j'étais très "préoccupée". Mes études puis ma carrière m'ont fourni des mots pour cela : anticipation anxieuse, rumination anxieuse, rumination morbide. Anxiété, angoisse, dépression, idéations subdélirantes, délire.
Les pensées s'enchaînent, s'emmêlent, amplifient la souffrance ressentie, un gros paquet d'angoisse, et/ou de tristesse.
Et je ne comprenais pas quand on me disait "Arrête d'y penser"
Vraiment, l'impératif concernant le flux et la qualité de mes pensées... Je ne comprenais pas.
Spoiler alerte : maintenant je "comprends" le truc.
Je ne comprends pas comment faire, je ne pouvais pas, maintenant je peux beaucoup plus. Ainsi les pensées et émotions douloureuses ne sont pas contrôlables par certain-e-s, souvent en état de malaise ou de maladie, et beaucoup plus par d'autres qui, hey scoop, vont bien. C'est comme un outil psychique dont je ne disposais pas et que j'ai acquis. Aujourd'hui si je me surprend à "ruminer", je suis capable de me dire, et c'est un gros effort conscient à faire "arrête ça, Ju", et de ralentir les idées noires, prendre un cachet ou faire un truc ou écouter une musique gaie.


Pour ceuxlles qui savent contrôler cela, le plus souvent ceuxlles en état de santé, qui n'ont jamais connu l'envahissement de la pensée et des affects par des choses sombres, inquiétantes, inhabituelles et ne semblant prendre racine en rien de concret : il est inutile de lancer des injonctions à une personne qui vit cela et est donc  incapable de maîtriser cet état.
Vous vous y arrivez, cela vous est aussi naturel que de mouvoir un bras ou de respirer. Nous nous n'y arrivons pas ou peu.
Et l'injonction amplifie le sentiment d'angoisse, de détresse. D'incompréhension. L'injonction silencie.
Dans le florilège, il y a
"Arrête de penser à ça"
"Tu n'as rien à craindre" (qui peut être très bienveillant, et j'admets n'avoir aucun "truc" à fournir pour aider à rassurer, donc pourquoi pas)(mais essayez de ne pas nier le sentiment qui lui est réel)
"Tu as tout pour être heureux-se" (visiblement, non)
"D'autres gen-te-s ont pire" (ce qui est sans doute vrai mais n'a rien de réconfortant)
"Tu te complais dans ton malheur" (la pire... guess why)
"Ça va passer" (c'est même pas sûr, perso ça a mis 20 ans à me passer donc bon...)
"Pense à toustes les gen-te-s qui t'aiment" (c'est sans doute difficile pour elleux, mais en fait ça n'aide pas)


Émettre l'une de ces injonctions, c'est dire à la personne "ton sentiment n'est pas réel, tu le fais exprès, tu nous rend malheureuxses pour rien, ta gueule et souris", c'est nier, silencier, culpabiliser.

Simplement, simplement, garder à l'esprit que l'interlocuteur-trice n'est pas en capacité d'arrêter de penser que sa mère va mourir/est morte, que la ruine lae guette (financière physique et morale), que son amour-e ne l'aime plus, que la vie est vraiment une vallée de larme. On ne dit pas à quelqu'un avec une fracture "allez, marche" ou "ben arrête d'avoir mal tu nous saoules"

Et perso quand ça ne va pas, j'écoute de la musique triste, je lis des ouvrages cruels, ça ne me change pas les idées de lire des trucs rigolos ou d'écouter des trucs rigolos. C'est hors de propos, hors de ma portée, et obscène. Comme un nez de clown à un enterrement.

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