jeudi 26 novembre 2015

Trop et pas assez malade






Un jour mon psychiatre, embêté face à mes difficultés au travail et ma volonté, pourtant, de bosser, m'a asséné "Le problème avec vous c'est que vous êtes trop malade pour vivre bien et pas assez pour bénéficier de réelles aides"

Me voilà bien emmanchée, me suis-je dit, que dois-je faire maintenant. Il m'est venu à l'esprit cette phrase, que je cite de mémoire donc approximativement et qui doit se trouver dans 1984 : "la liberté ? La liberté d'être un rond dans un trou carré ?" ou un carré dans un trou circulaire. Voilà l'esprit
Tu vois l'délire
Et apparemment je ne suis pas la seule à être dans cette position inconfortable.
En réalité je n'y suis plus, je n'y ai peut-être jamais été, j'y ai été assignée, placée.

Trop malade ET pas assez.

Durant certains phases de mes troubles schizo-affectifs, je suis clairement à la dérive, soit sur un mode, le plus fréquent, très dépressif
vit seule avec son chat dans un état d'incurie depuis des mois
soit hypomane à mixte, c'est à dire dans un état de grande excitation psycho motrice, à un état exalté et profondément dépressif à la fois.
Je n'ai alors plus vraiment toute ma raison. Des idées sub délirantes m'envahissent, je laisse mon corps à l'abandon (obésité, maigreur, saleté, alcool), je suis angoissée sans cesse, je ne dors plus ou alors je dors tout le temps, j'ai des idées de grandeur ou d'indignité profonde ou les deux à la suite dans un cycle très rapide, etc. Je me scarifie, je fais des "scènes", je pleure, je suis prise de crise d'angoisse paroxystique, je crie ou je me prostre...
la folle en habit de folie
Personne ne peut nier ma maladie. Personne ou presque car durant d'autres phases, je suis adaptée, je prends grand soin de mon corps, je me sèvre de l'alcool, je me remets à lire, travailler, sortir...

Alors, je ne sais pas, le célèbre On pense que je le fais exprès d'aller mal ou de me laisser aller, j'entends même que moi ça ne me fait rien et que j'oublie la douleur infligée à mes proches. Qu'il faut me secouer, et toute les bullshit invalidant ma parole et ma souffrance, soit positive, lave-toi ça ne coûte rien, perds du poids, dors régulièrement, y'a tant de gens qui t'aiment et tu ne le sais pas.
Cela va de pair avec une méfiance de ma parole et de mes décisions, toujours. Je ne suis pas la seule à vivre dans l'ambivalence et le paradoxe. Après tout, dit On, je suis folle, je ne sais pas gérer mon argent (j'ai été sous curatelle), je ne sais pas m'occuper de moi, de mes chats, de mon appartement. Je ne peux pas décider de ma vie, de mes soins, de ma carrière.

Je n'ai donc pas le droit de "me plaindre" tout en étant catapultée dans la case de la fille qui ne sait pas ce qu'elle fait.Visiblement je suis "malade quand  ça [m']arrange". "On ne peut rien [me] dire" Mais ça ne m'arrange jamais d'être malade. Et il faut entendre ce qu'On me dit.

Certains soignants sont assez perplexes aussi. Infirmière libérale ne colle pas avec ma personne physique au moment M ni avec mon dossier médical de vieille folle à chats ni avec mon diagnostic.

On me juge "pas assez malade" pour une auxiliaire de vie (ménage), "trop malade" pour pouvoir vivre seule dans le ch'ni, "pas assez malade" pensait-on, pour une AAH mais "trop malade" pour pouvoir vraiment travailler.

Prise dans ce truc je pensais moi aussi être capable, pouvoir faire, devoir faire. Si je cessais le taff et qu'on ne m'accorde aucune aide parce que "pas assez invalide" ? Mais en même temps reprendre mon poste et commettre des erreurs ?

Dites, avant de taxer les gens d'ambivalence, ou d'être pris.e.s dans des paradoxes très schizo, prenez en compte les messages que vous envoyez.
wink wink


Enfin, en discutant avec une pote, je me suis aperçue que nous étions toustes dans ce truc là, dans le trop capable pas assez capable, malade mais pas malades.

Simplement, écoutez quand je vous dis "je suis schizo" c'est pour aller vite, c'est informatif. "Je vis avec une schizophrénie" c'est je vais bien. "Je souffre d'une schizophrénie" c'est que je vais mal.

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