jeudi 30 juin 2016

Ma folie et mon corps malade






Je tente dans ce billet de décrire comment mon asthme est resté non soigné pendant vingt ans, de la rencontre de la folle en habits de folies avec la pneumologie.


Mes troubles psy ont explosé à l'adolescence, c'est "courant". Ils se manifestaient beaucoup alors par des troubles du comportement, accompagnés et favorisés par des prises de drogues illicites (cannabis) et licites (alcool) De fait j'étais massivement angoissée, et délirante, ce qui n'était pas pris en charge médicalement, ni au fond d'aucune façon. Mes rapports avec ma mère, avec qui je vivais, étaient très conflictuels, prête à m'envoler du nid je vivais dans la crainte perpétuelle que mon petit ami me quitte.

L'asthme est apparu classiquement de nuit, je me réveillais sifflant et étouffant, le thorax très oppressé. Pour me calmer, tant au départ je pensais à des états de mal être psy, je fumais un joint. La crise passait au bout d'une heure et réellement, je pense que le joint aidait. La composante psy favorise les crises d'asthme. Cela se répétait.
Je ne sais même pas si j'en parlai à ma mère. Sans doute me disait-elle de moins fumer. Je n'ai pas non plus de moi-même consulter mon médecin généraliste. J'aurais pu : je bénéficiais de la Sécu étudiante et pouvais me libérer quelques dizaines de francs pour avancer la consultation. J'étais prise dans les études, dans mon délire, dans d'autres préoccupations. J'avais conscience qu'il s'agissait d’asthme : étudiante infirmière je l'avais étudié en module théorique, et mes crises étaient typiques.

Advient la nuit où rien ne calma la crise. Je finis par me lever, étouffant, siffalnt, puis réveillant ma mère pour lui demander d'appeler le médecin de garde. Ma mère refuse : cela coûte cher, je suis juste stressée, je vais boire une tisane pour m'apaiser et apaiser ma gorge.
Mes ongles sont bleus. On s'engueule. Elle finit par m'emmener aux urgences.

Dans mon souvenir je suis prise en charge et "boxée" rapidement. Ma mère et moi nous engueulons entre nous et avec tout le monde, grosso merdo. Je suis à fleur de peau, très mal dans mon corps (ça dure depuis plus d'une heure) et dans tout. Une infirmière me demande pourquoi je n'ai pas appelé le médecin de garde, je glapis que ma mère a refusé parce que ça coûte trop cher. C'est moi qui prends.

L'interne en pneumo appelée arrive, elle me trouve très spastique, mais juge bon de me sermonner à son tour : moi qui suis élève infirmière, je sais reconnaitre l'asthme, pourquoi ne l'ai-je pas fait traiter avant (sous entendu très fort : au lieu d'emmerder le monde la nuit), c'est irresponsable et dangereux. Ma crise commence à céder. Comme je dis toujours, à un moment il faut guérir ou mourir. Je bénéficie d'un aérosol, je suis hospitalisée dans le service de pneumologie.

Le lendemain la même interne passe dans ma chambre, s'inquiète et s'agace de mon manque de réactivité à cet asthme, je passe une Exploration Fonctionnelle Respiratoire (EFR) dont la conclusion est : vous n'êtes pas asthmatique, vous avez même de bons poumons.
Je repars chez moi avec ma ventoline et de la cortisone, pour traiter on ne sait pas quoi, finalement, puisque j'ai fait une crise d'asthme où je me suis montrée "très spastique" alors que je n'ai pas d'asthme. On me dit bien que psychosomatique mes couilles blabla, au final on ne me conseille pas même un psy ou ne me prescrit un traitement pour cette angoisse à en devenir bleue et à étouffer.

Passerons des années où je fais un gloubi boulga "mon amoureux était asthmatique j'ai volé son symptôme", où je prendrai de la ventoline après une marche dans le froid, où mes nombreuses bronchites seront asthmatiformes, où mon généraliste gardera l'idée que tout ça c'est dans la tête.

Nous avons donc moi, une usagère qui ne prend pas soin de son corps, le maltraite même, ne le "sent" pas, ne le soigne pas, est volontiers revêche et tendue envers les soignant-e-s.
Le corps médical qui traite symptomatiquement la crise, donne un diagnostic en négatif sans rechercher ou chercher à solutionner la cause de ce qui m'a amenée à l'hôpital, tout de même.
Ma mère excédée, épuisée, en colère, je ne sais, qui pense que je n'ai qu'à "ne plus fumer" (et arrêter de faire chier avec mes crises et de faire la gueule sans cesse)

Tout un système qui concourt, autours de ma folie naissante puis avérée, à laisser le corps en arrière en bourrant tout ce qui ne rentre pas dans les cases de "c'est dans la tête" (et puis ? Même si ça l'est, la tête, ça se soigne n'est-ce pas)

C'est donc à l’age avancé de 40 ans, stabilisée, attentive à mon corps et sollicitée en ce sens par mon compagnon pour qui la santé compte aussi que je consulte un pneumologue pour "bronchopneumopathie chronique obstructive", la bronchite chronique de la fumeuse. Je repasse un EFR, bénéficie d'un traitement de fond. Six mois plus tard, retourne pour un contrôle et un autre EFR qui montre une parfaite "récupération". Il penche vers le diagnostic d'asthme (aggravé par le tabac)

Voilà vingt ans que je suis asthmatique et ne bénéficie pas de soins adéquats.


Pour les soignant-e-s je connais les limites de vos professions, les difficultés rencontrées quand les moyens sont riquiquis, l'épuisement... Le manque de temps, le manque de tout. Mais... L'usager-e dans sa globalité ? Oui, c'est votre cinquième nuit de garde de folie et une énervée vient comme un cheveu sur la soupe, agressive en plus. C'est votre mouvement d'impatience, c'est ma santé. Pendant 20 ans. C'est mon corps mal soigné (et j'en suis largement la cause) c'est ma tête complètement déniée.

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