lundi 22 août 2016

Les réalités et le politique






J'avoue très humblement n'avoir fait aucune recherche avant d'écrire ce billet, pas même taper "réalité" ou "réel" dans un moteur de recherche (qu'est-ce que le Réel ? Demande à Google)

On m'a souvent dit (et assez comme un reproche) "tu n'es pas dans la réalité", avec un gloubi-boulga mélangeant "tu es délirante" et "tu n'es pas réaliste". Mais ça doit être de venir d'une famille de soignante, et entourage itou.
Des soignant-es m'ont dit régulièrement, en moments de crises, que je n'étais pas dans la réalité. Ce que je comprenais et concevais, mais pas tout-à-fait. Car, eh oui, il n'y a pas de ligne franche, de frontière, avec d'un côté la réalité et de l'autre le n'importe quoi psychotique. L'Interzone dont je parlais dans un précédent billet est englobé dans la réalité. On peut être à moitié dans la réalité, ou pas dans la réalité que pour un truc (délire en secteur, ma jalousie passée), bref, ce n'est pas si clair que "y être ou pas" (en avoir ou pas, des hallus)

Ainsi j'ai pu "être dans la réalité" pour faire une démarche administrative de manière posée, conduire ma panda avec une émotion qui me vient, et dans la voiture, en restant aware de la route, demander tout haut à  Freyja "et il m'aimera si je le dis trois fois" et l'entendre me répondre comme si elle était assise à la place du mort "Si tu le dis trois fois, il t'aimera". Et avoir parfaitement conscience qu'il s'agit d'une hallucination produite par mon cerveau-ma psyché.
C'est très important de savoir, pour les non concerné-e-s, que savoir qu'une hallu est une hallu ne la fait pas disparaitre ni ne la rend moins réaliste. C'est même complètement flippant, ce sentiment que sa raison s'échappe et qu'il se produit des trucs limite aléatoire sur lesquels on a peu de prise.

Bref, c'est comme si j'étais dans la réalité, mais une partie de mon cerveau non. Sans que je puisse controler. Voyez-vous, ce n'est ni simple ni clair ni évident, comme notion, comme concept, comme vécu.


Par ailleurs on peur prendre pour acquis que nous avons toustes, sensoriellement, intellectuellement, effectivement,... une interprétation différente du monde (de l'extérieur comme dit Freud) Nous avons toustes une réalité propre. J'enfonce même les portes ouvertes en disant cela. Et ce qui devient politique c'est que certain-es ont une réalité encore plus personnelle que d'autres (que la majorité) Je parle ici de mes frères et soeurs en psychose, et des personnes NA en général. Là où le concept réalité et l'usage qui en est fait est politique, c'est que du fait de cette perception atypique ("faussée", "déviante", "pathologique") de la réalité nous sommes rejeté-es et notre parole invalidée. Un outil que j'ai utilisé pour moi, dont je n'ai sans doute pas la primeur mais je l'ai "réinventée" si cela existe, puis pour mes usager-es est le concept de réalité commune. Nous avons toustes notre réalité, qui se recoupe sur une réalité commune dont nous avons besoin pour vivre pragmatiquement (manger des aliments comestibles, nous hydrater) et communiquer les un-es avec les autres. Au-delà de la langue et du langage. Un arbre est un arbre, un végétal qui produit de l'oxygene etc. Une personne est une entité vivante de la même espèce que nous. Seule moi entend Freyja. Les Avengers c'est Marvel. Une baguette de pain s'il-vous-plait. Je t'aime. Etc.

C’est important au niveau militant et au niveau soignant parce que ça parle aussi des symptômes, de leur préservation, de leur sens, de leur importance, du fait qu'ils soient invalidants, neutres, ou aidants. Des voix peuvent être malveillantes, d'autres neutres, d'autres bienveillantes. ET y'a pas de "mais c'est des hallus, caca"
Je discutais il y a une heure avec quelqu'une psychologue me parlant de l'ère des psychiatres humanistes (formés dans les années 70 au sein de courant antipsychiatriques, plus ouverts) et d'un retour de jeunes psychiatres plus froids, plus dans la prescription lourde, le renfermement et, hélas, le "je m'en lave lesmains". Le sécuritaire disais-je, et elle me répondait "sécuritaire pour elleux"
L'ère de l'abrasion des productions délirantes et hallucinatoires, de réalités différentes, qui ont pourtant une fonction et un sens.

Certaines choses pour moi ne sont pas réelles. Les grandes manœuvres boursières qu'effectuent les traders, sérieux, c'est du vent, c'est des bits. Qui ont d'énormes répercussions sur la vie quotidiennes de gen-tes souvent beaucoup moins fortuné-es. C'est politique aussi de questionner cette réalité là. Un partie de ma folie me protégeait de cela. Ce qui est réel, ce que l'on nous vend, la manière dont un système nous forme, et dans le cas de nombreux psychotiques, nous broie et nous exclu. Oui, moi je questionne la réalité qu'ielles m'imposes, les 1%. Bien plus toxique que les incantations d'amour de Freyja et pourtant pour lesquelles on n'a jamais enfermé personne. Alors que la psychophobie tue, chaque jour.

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