samedi 17 octobre 2015

La gêne






Longtemps je me suis couchée pas trop de bonne heure et longtemps je n'ai parlé de ce que je vivais à personne. A la dure, comme les coboilles (que je rêvais de devenir, à huit ans)


A 17 ans au décours de ma première tentative de suicide j'ai commencé à m'ouvrir auprès d'un médecin généraliste réellement bienveillant, et j'ai eu ensuite du mal à arrêter de m'exprimer. Je puisais ce "courage", ce débordement de 17 années de silence auto-forcé, parfois dans l'alcool, dans l'espoir constant, qui ne m'a jamais quitté, que quelqu'un de plus compétent puisse m'aider et me soulager - peut-être un jour évoquerai-je mon histoire médicale, mais là bof - parfois avec succès.

Mais auprès de trop nombreux médecins et personnes rencontrées deci-delà, il y a eu la gêne. Leur gêne.

Le généraliste qui me parle différemment quand il apprend que je prend de l'Abilify, alors que je me pense et dis "anxio-dépressive". L'urgentiste, qui me conseille de ne plus travailler avec "votre traitement et ce qu'il suggère comme pathologie". L'ambulancier qui me tutoie d'emblée - qui est nerveux au volant avant de se détendre quand il constate que je parle "normalement" que je n'ai pas de sabots et une langue fourchue. La gêne quoi.

La gêne je l'ai fait mienne, à la longue; ou alors la prudence. La psychophobie existe c'est une parole à la fois saine et insensée que de dire "c'est une maladie, il n'y a pas de honte". Je n'éprouve pas de honte à être "malade", mais je sais comment l'info "je suis schizophrène" sera souvent perçue.
Elle sera perçue par la gêne et l'évitement, voire la punition (au travail, à la banque... et tentez l'expérience curatelle et essayez de prendre rendez-vous chez un médecin spécialiste pour rire)
Elle sera perçue avec fascination exotisation du trouble : je serais forcément formidable, ou spéciale, ou semi chamane ou poète. Je vivrais des choses incroyable. Je ne suis pas cosmonaute je suis schizophrène; je vis "normalement" je mange comme tout le monde, je lis je joue je travaille à la maison, etc.

La gêne je l'ai fait mienne, et je louvoie - sauf en terrain sûr. Parfois par "provoc" disent certain.e.s, je préfère par "militantisme" (comme pour mon alcoolisme secondaire). Pour redire "je suis schizophrène, je suis de l'espèce humaine". C'est sans doute entre autres par cela que l'image déplorable, psychophobe, des neuroatypiques changera petit à petit.

C'est difficile qu'un.e pharmacien ne me fasse pas confiance pour me délivrer mes médicaments, dont j’ai pourtant un besoin vital. C'est difficile qu'un médecin généraliste passe tous mes troubles comme psychosomatiques, mes symptômes dits subjectifs (douleur, fatigue) comme des vues de l'esprit, des hallucinations cénesthésiques. C'est difficile que subitement, sur la seule foi d'un mot, on ne m'accorde plus confiance, on me considère comme "différente", moi qui suis pourtant la même qu'il y a cinq minutes, avant que "schizo" ne soit lâché, quand on s'entendait bien.

Et je men veux parfois de "louvoyer", de m'excuser d'être moi, quand ce n'est pas nécessaire. L'infirmière est venue hier pratiquer l'injection de Risperdal. Elle m'a demandé mon diagnostic, pour la première fois en quasiment un an. "Troubles schizo-affectifs" ne semblaient rien lui évoquer mais elle s'est raidie un peu, j'ai précisé qu'il s'agissait d'une "schizophrénie dysthymique". Elle a bafouillé quelques questions, sur "comment ça se manifeste" C'était plutôt douloureux pour moi - et je dépends de cette personne pour recevoir mes soins de base. J'ai brodé des tas de truc sur la personne tellement normale que je suis, avec de petites crisounettes de rien du tout sans aucun délire ou si peu.
J'étais triste et en colère.
Je ne lui en veux pas, ce n'était pas malveillant, c'était presque atavique comme réaction. Complètement fondé sur la société, même chez les professionnel.le.s de santé. Je suis psychotique, c'est pa grave. :)

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