samedi 10 octobre 2015

Le déni est une folie en soi




Durant des dizaines d'année je me suis dit, grosso modo « oui mais moi c'est pas pareil »
Ça n'est pas pareil.
Pas pareil.
Je bois mais je ne suis pas une vraie alcoolique, c'est dû à ma souffrance psychique
Je délire mais c'est pas pareil c'est dû à l'alcool
Je disjoncte mais c'est pas pareil c'est dû à mes parents
Ils me rendent folle
Alors je souffre
Alors je bois
Alors je délire.
Mes parents sont mon mal.
Je ne suis pas une vraie alcoolique comme on voit qui tremblent le matin qui ont fait plusieurs cures. Quand je veux j'arrête. C'est marrant c'est ce que disent tous les vieux alcooliques qui tremblent le matin, au bistrot devant leur verre de blanc, sauf que moi, c'est vrai, tiens, demain je ne boirai pas.
Je travaille. Je suis infirmière en psy alors moi les vrais alcooliques je sais ce que c'est et c'est pas moi. Je sais aussi ce que sont les psychotiques et c'est pas moi. Ils ne sont pas infirmiers en psy ils n'ont pas de travail. Ils sont souvent hospitalisés en psy parce qu'ils arrêtent leurs traitements parce qu'ils ne savent pas qu'ils sont malades, ça c'est un signe de maladie grave, ne pas se rendre compte. C'est un signe de folie : les diabétiques, eux, ils n'arrêtent pas leurs traitements, sinon ils meurent. C'est ce que dit ma surveillante et je suppose bien que c'est vrai : qui , sain d'esprit, arrêterait un traitement qu'il sait être vital ?
Non, je ne suis pas folle. Les vrais fous délirent, ils entendent des voix et veulent tuer leurs parents. Parfois ils tuent vraiment leurs parents, surtout la mère. Je les comprends un peu, leurs mères sont tyranniques, un peu comme la mienne.
Ma mère me rend folle. Elle use et abuse des paradoxes. On en parle souvent avec Ghis qui est une collègue et une amie et qui comme moi n'est pas folle, de nos mères. Ces psychotiques. Je dis « Je parle couramment le psychotique, c'est ma langue maternelle ». Ça se dit entre gens de l'équipe, que je comprends particulièrement bien ce dont me parlent les patients psychotiques et tous leurs raccourcis de pensée, et la symbolique et le thème du discours même si à priori ça ne ressemble à rien. J'en suis fière, je pense que la folie m'a épargnée mais qu'ayant été élevée par ma mère qui elle est folle et psychosante je comprends et traduits très bien cette pensée. Je parle couramment psychotique. J'en suis fière Je suis une passerelle. Je peux aider je peux m'occuper de tous ces gens que peu de gens aident, les parias des parias de la société les fous. Les gens que personne n'aime ni n'aident Je sais ce que c'est on m'a toujours traitée de bizarre, alors que je suis juste différente. Alors que ma mère est psychotique et me maltraite de paradoxes. Alors que mon père est translucide. Il faut aider les gens avant qu'ils ne meurent et personne n'a envie de mourir, pas même les aspirants au suicide, pas même moi.
Je ne suis pas folle, et puisque moi je suis normale je peux aider les fous.
Mais je souffre quand même, ma mère, ses paradoxes, l'angoisse. Alors je bois, c'est thérapeutique un peu, je prends des cachets je vois une psychiatre qui me prescrit un traitement neuroleptique, mais c'est pas pareil c'est du Tercian c'est sédatif, ce n'est pas très incisif, ce n'est pas fait pour lutter contre les délires et les hallus, que je n'ai pas, mais contre cette angoisse qui me plombe et m'aspire depuis l'enfance, et moi mon angoisse est si grave qu'il faut du Tercian, le Tranxène ne suffit pas, c'est un peu pour les bébés le Tranxène, les benzos, pour les bébés et pour les gens qui aiment se défoncer. Moi, j'ai arrêté le shit, moi j'ai arrêté le Stilnox que je prenais par plaquettes, mais j'ai pas arrêté l'alcool, parce qu'il faut bien vivre.
Le vent se lève.
Alors je bois et puis je me lame et puis il est nuit je téléphone en angoisse et larmes à mon père ma mère ma sœur, pour pleurer pour dire que ça ne va pas, parfois pour les insulter ce qui est bien normal ils m'ont induit ces états en amont en disant des choses angoissantes, en usant de paradoxes, je téléphone parfois à mes amies, à Sandrine, à Ghis, ensuite je m'endors comme une masse mais j'arrive à me réveiller à 5h pour me préparer pour le boulot où je me rends avec la gueule de bois ou, encore plus souvent, des grammes de la veille.
Moi c'est pas pareil, je ne suis pas une vraie alcoolique, je ne suis pas psychotique, ce n'est pas ma faute.
Je parle avec ma psy parce que moi je suis sûre d'avoir un grand secret. Un grand secret qui explique toute cette douleur, ces dysfonctionnements, et si je l'apprends enfin, parce que je l'ai oublié, refoulé, ça se voit souvent, si je m'en souviens je pourrai régler tout cela et redevenir parfaitement normale, être parfaitement réparée et poursuivre ma vie d'infirmière psy, qui travaille qui soigne qui aide qui est normale, je ne boirai plus qu'aux occasions et j'aurai un copain, des enfants et un appartement propre et rangé. Je ferai la cuisine, j irai au travail. Je lirai des histoires aux gosses on ira au parc. On ira en vacances à la mer et puis à l'étranger en été On aura un ou deux chats. J'aurai une voiture, je serai une grande personne normale, enfin je ne serai plus sous l'emprise de mes parents. Je serai accomplie.
Je me dis que ce grand secret c'est sans doute que mon père, avec sa tête de coupable, avec lui qui est bouffé par la culpabilité, ce mec a dû me faire des choses pas nettes il y a longtemps. C'est sans doute ça. Dans le même temps je vois bien que c'est impossible mais c'était peut-être juste une fois comme ça un soir où il aurait bu, parce que quand ma mère l'a quitté il buvait pas mal.
Je porte ce secret. J'ai l'impression constante et diffuse d'être enceinte d'un enfant mort. D'avoir un fœtus qui pourrit dans le ventre Ce n'est pas un délire la preuve je le critique. C'est comme une sensation ou une idée vicieuse dont je n'arrive pas à me défaire. Et le psy de l'hôpital m'a dit « enceinte d'un enfant mort, enfin, c'est un secret que ça représente »
Je vais tous les ans à l'hôpital psy, hospitalisée un mois. C'est différent des vrais grands fous je reste peu de temps, c'est pour me mettre au vert et dès que je suis un peu au calme je reviens bien. Ça me coupe de l'alcool et surtout ça me sépare de ma mère. La toxique.
Donc j'ai raconté ça à l'infirmière et on en a parlé avec le psy. Il m'a dit « secret » et le secret c'est presque toujours l'inceste Ce dernier point c'est moi qui ai déduit et je n'en ai pas parlé au psy, ça sonnait délirant quand même, d'un point de vue extérieur.
Alors par la suite durant une cuite qui ne se passe pas bien, une ivresse pathologique, c'est purement toxique et neurologique, rien à voir avec la schizophrénie, durant cette crise j'appelle mon père je l'accuse et je l'insulte.
Il ne comprend pas. Tu m'étonnes je me dis et puis je me dis qu'il a du oublier lui aussi, qu'il a été encore plus traumatisé que moi. Parce qu'il est un homme bon tout de même, c'est vrai.
Ma mère a dû m'induire cette idée perverse, comme quand elle a insinué que je n'étais pas de lui. « J'ai réfléchi, Gilbert est bien ton père, en fait »


Cela est le déni. Le déni est une folie en soi.

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