mardi 31 mai 2016

Payée à rien foutre ? Stigmatisation du handicap invisible

Comment la société me voit
Je ne travaille plus. Je ne travaille plus ? Je ne travaille plus à l’extérieur, je n'effectue plus de travail rémunéré par un employeur ou des clients. Je préfère le terme "je travaille à la maison", j'effectue les tâches ménagère dans mon foyer, où nous sommes deux. Un souhait de ma part que de m'en charger, un accord de mon compagnon, notre équilibre de vie commune.
Parfois je travaille 8h dans la maison (ménage, linge, repas), ça reste rare, parfois je ne fais "rien" pendant deux ou trois jours, le plus souvent je fais mon taff pendant quatre heures.

Il s'avère que je n'ai plus pu ni voulu travailler à l’extérieur, au bout de vingt ans de taff et de maladie quasi constante. J'ai été infirmière en psy, secrétaire, infirmière libérale en santé mentale, archiviste. Tout s'est toujours déroulé en plusieurs temps. Un ou deux ans de joie, une fatigue intense bio-psycho-sociale, une décompensation durant deux ans, une période de dépression puis  recouvrance de ma santé (psychique et physique) de un à deux ans, du travail.

Mon psychiatre aujourd'hui retraité m'a expliqué l'année dernière comment s'organisait ma maladie, le trouble schizo-affectif : mon cerveau "rationnel" (le lobe frontal) et mon "cerveau reptilien, des émotions" (le cervelet) sont "mal équilibrés". L'un n'est pas "plus fort" que l'autre, disons que la communication, le système ne se régulent pas bien. Ce qui fait que je suis obligée de penser consciemment à modérer tout cela tout le temps. J'ajouterais "presque consciemment, en tâche de fond". C'est devenu presqu'un réflexe mais pas non plus automatique. Concrètement ce serait pour un neurotypique comme de devoir sans cesse penser à bouger ses jambes et comment pour les bouger. Imaginez la fatigue mentale de la marche. Moi, ce truc m'occasionne une "fatigue physique du cerveau".


Je lui ai donné raison et j'ai été très reconnaissante, rien que de l'expression "fatigue physique du cerveau". Parce que je croyais que c'était encore des hallucinations le "sang qui bat" dans la tête et les temps. Comme le coeur après un effort physique violent. Non les maux de tête mais "la tête prise". Et puis tous ces moments au travail à tenter, réussir souvent, à me raisonner pour ne pas penser que si mes collègues rient à côté, ils rient de moi. Que tout et toustes m'agressent.


Bref : je suis en burn out au bout de trois mois de travail. Une fois le "travail effectif" appris et géré (en psychiatrie c'est le travail de toute une vie, mais disons que ça va prendre un an pour rouler), je dois gérer le rapport aux collègues (ni trop ni trop peu, ni persécutée ni super confiante, ni froide ni trop familière... pas aidée par mes quelques hallus et illusions auditives qui trainent) et le rapport avec les usager-e-s.

Le tout en y réfléchissant constamment. En tâche de fond mais tâche quand même.

Donc l'année dernière je n'en ai plus pu. Mon psychiatre me proposait depuis quelques années l'Allocation Adulte Handicapée (AAH), après ma dernière rechute j'ai soufflé fort "je ne veux plus travailler". Un dossier de retraite anticipée est lancé et aboutira dans les semaines qui viennent.


Ça ne me fait pas plaisir. Etre retraité-e à 65 ans n'est déjà facile pour personne (mes proches en retraite "normale") mais à 40 ça fait une impression assez gloups.

Je suis désormais précaire. Mon aimé a un salaire et une maison qui me permettent de ne vraiment manquer de rien, mais si (et je pense toujours et constamment aux "si" de la vie) il arrive quelque chose, je devrai me débrouiller avec de tous petits revenus.

Je semble aller bien, très bien. Je vais bien, très bien d'ailleurs. Outre mon taff à la maison je surfe, je lis beaucoup, je fabrique mes cosmetiques et autres choses, je regarde des séries et des films, je roucoule. parce que je ne travaille pas à l'extérieur, grâce à cela. Cela permet cet équilibre.

J'en entends hein. De "tu n'as que ça à faire de la journée" (mon père quand je lui ai dit que je ne cuisinais pas pour moi seule à midi), "tu n'as jamais travaillé" (idem OO) "quand tu paieras des impots tu comprendras" (heu ok, j'en paye encore cette année et c'est comme ça depuis que j'ai 20 ans), jamais de la part de mon compagnon bien sûr sans parler des "tu as choisi de ne pas travailler" etc.


Ca suffit. Une fois motorisée je rendrai à la communauté ce qu'elle fait pour moi (être écrivain public, bénévolat au Secours Populaire) mais enfin les gen-te-s, la société, elle prend soin (peut-être que c'est de moins en moins évident) des vieux, enfants, malades et blessés. Mon aimé, archéologue m'a dit que ce qui avait permis à l'humain, si fragile, de perdurer, était non pas (seulement) ses pouces opposables ni son cerveau, mais la grégarité : "on ne laisse jamais un blessé, comme les grands singes".

On ne fout pas les malades, les anormaux et les déficients, les faibles, à la benne à ordure. C'est cela l'humanité.

J'ai toujours été OK avec les impôts sur le revenu : ils me signifiaient que je gagnais suffisamment bien ma vie pour redonner à celleux qui ne pouvaient pas.


La maladie mentale ne doit pas être une honte. Le handicap invisible (définitif ou pas, je crois au rétablissement) ne doit pas être montré du doigt. Ne pas être employée de banque ne doit pas signifier que je suis inutile, ou un poids.

Par ailleurs j'ai pas mal entendu le, je vous la fais courte et violente comme il m'est arrivé de l'entendre "les fous ils ont des bras des jambes ils peuvent travailler", phrase violente donc, et problématique de tant de façon, validiste, si le cerveau gère mal, les bra s les jambes vont moins bien.


Énormément de fous travaillent à l'extérieur, iels en payent ou moins le prix (en terme de fatigue psychique et physique du cerveau donc) et iels, moi par le passé, avons à nous battre d'autant plus pour obtenir un travail et le garder. Si notre bizarrerie ou nos difficultés apparaissent c'est toute la psychophobie qu'on se prend dans la face, les remarques, les blagues, le mobbying, les choses réellement chuchotées dans le dos ou même à portée d'oreille parce que vasy osef. De gen-te-s mêmes pas malveillant-e. Simplement psychophobes par habitude, parce que la société l'est. 
(dois-je ajouter #NotAllColworkers ?)
Et de comment amener la chose en entretien d'embauche, alors même que la "discrimation positive" devrait nous aider ? Allô oui cer moi je te couterai moins cher car je suis schizophrene lol. Les mots font peur. La maladie fait peur. Tentez de considérer nos arrêt de travail comme ceux d'une personne avec une maladie somatique :)

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